GHADA HATEM-GANTZER, LA DR HOUSE DES FEMMES
Créé le 07/12/2014 à 15h00
ELLE magazine
Cette gynécologue, chef de service à la maternité Delafontaine de Saint-Denis, se bat pour ouvrir une Maison des femmes. Un lieu où les patientes en détresse trouveraient accueil, soins et écoute.
Des icônes russes, des statues africaines, des affiches féministes... Dans le bureau de la Dre Ghada Hatem-Gantzer, il y a le monde entier. Un peu comme à l'hôpital Delafontaine de Saint-Denis, où elle travaille. « L'hôpital international », c'est ainsi qu'elle le surnomme, clin d'oeil railleur à l'Hôpital américain de Neuilly-sur-Seine, aux antipodes sociologiques de la « capitale » du 9-3. Passée des grandes gueules (quand elle était à la maternité militante des Bluets) à la Grande Muette (quand elle officiait à l'hôpital militaire Bégin), elle est désormais chef de service d'une méga-maternité qui accueille chaque année environ 4 000 naissances. Parmi les futures mères, de nombreuses femmes précarisées, victimes de violences et de mutilations sexuelles. C'est pour elles que, avec le soutien de la Fondation ELLE, la gynécologue-obstétricienne s'est mise en tête de construire une Maison des femmes sur le dernier terrain vague disponible de l'hôpital. La première pierre a été posée le 8 mars dernier. Depuis, l'édifice attend d'être financé dans sa totalité. La Dre Ghada Hatem-Gantzer partage donc ses journées entre les soins aux patientes et sa nouvelle casquette de leveuse de fonds. Un rythme intense mais coutumier pour cette pragmatique à la chevelure de lionne et à l'enthousiasme contagieux.
ELLE. Comment êtes-vous arrivée en France ?
Ghada Hatem-Gantzer. Je suis née au Liban et j'ai étudié au Lycée français de Beyrouth. A 18 ans, j'ai voulu faire médecine, mais mon pays était en guerre, et la France s'était désengagée du soutien qu'elle apportait à la faculté de médecine. J 'ai donc décidé d'aller étudier en France. Je suis profondément francophone et francophile. Quand je suis arrivée à Paris, j'étais chez moi.
ELLE. Qu'est-ce qui vous a poussée vers la médecine ?
Ghada Hatem-Gantzer. J'ai longtemps hésité entre l'architecture, la sociologie et la médecine. Cette dernière l'a emporté, car je me projetais plus dans le soin. La psychologie de bazar y verra un lien avec mon histoire, mon pays en guerre, moi, je ne fais pas spécialement ce rapprochement. Un stage en maternité m'a convaincue de devenir gynécologue-obstétricienne. Peut-être parce que, dans cette spécialité, tout finit bien, en général. C'est à la fois de la médecine, de la chirurgie, de la psychologie, de l'accompagnement humain. La naissance est un moment crucial où les histoires familiales se télescopent, où les échanges humains sont très riches.
ELLE. Travailler à l'hôpital de Saint-Denis, est-ce un hasard ou un choix militant ?
Ghada Hatem-Gantzer. A Paris, après un passage à Saint-Vincent-de-Paul, j'ai rejoint les Bluets, où j'ai découvert le travail de Fernand Lamaze, l'un des pères de l'accouchement sans douleur. C'est le premier médecin à avoir dit aux femmes: « C'est à vous de décider, d'être actrices de la naissance. » Ce n'était pas banal. Il nous a enseigné cette idée révolutionnaire selon laquelle un patient qui sait ce qui va lui arriver a moins peur. Il a aussi popularisé la préparation à la naissance et il s'est battu pour qu'elle soit remboursée par la Sécu. Enfin, il a défendu l'idée que tout le monde a un rôle dans l'accouchement, de la sage-femme à la personne qui nettoie la chambre. Après une dizaine d'années là-bas, je suis partie pour l'hôpital militaire Bégin, à Saint-Mandé. D'un extrême à l'autre. Des cocos aux militaires, sans faire mes classes ni couper mes cheveux. Dans cet hôpital, ma petite victoire, c'est d'avoir fait pratiquer des IVG, ce que beaucoup pensaient impossible. J'ai aussi créé une unité de prise en charge de la stérilité. Quelques années plus tard, le chef de service de la maternité de Saint-Denis, qui préparait sa retraite, m'a contactée. Je me suis dit que ça pourrait être un beau projet de fin de vie professionnelle : la maternité était en reconstruction, je m'étais lancée dans un master en management médical... J'ai lâché mon vélo, mon moyen de locomotion préféré, et je me suis lancée dans cette nouvelle aventure.
ELLE. Quelles sont les spécificités de cet hôpital ?
Ghada Hatem-Gantzer. Les gens qui passent par cet établissement viennent de plus d'une centaine de pays, beaucoup rencontrent des difficultés sociales extrêmes. Cette diversité est une richesse, mais, lorsqu'on reçoit uniquement des patientes qui ne parlent pas bien français, qui sont à mille lieues des préoccupations de la parentalité, de la place du père, de la bientraitance, cela ne pousse pas forcément à développer de nouveaux projets. Ce qu'on leur donne leur convient. Pourtant, la notion de projet de naissance, par exemple, apparue ces vingt dernières années, est aussi l'occasion d'ouvrir le dialogue. D'évoquer des problématiques personnelles, comme les mutilations sexuelles.
ELLE. Vous avez lancé un service de chirurgie réparatrice dédié aux excisées. Ce sont les femmes qui le réclamaient ?
Ghada Hatem-Gantzer. Les femmes excisées représentent de 14 à 16 % des 4 000 femmes qui accouchent ici chaque année. Nous nous sommes donc interrogés sur ce que nous pouvions leur apporter. Trois chirurgiens sont partis se former auprès du Dr Pierre Foldes, le pape de la reconstruction. Nous avons mis sur pied une consultation qui regroupe des sages-femmes, une psychologue du psycho-trauma, une gynécosexologue... Toutes les femmes ne demandent pas à être réparées, et il faut respecter leurs souhaits. Mais aussi leur permettre de reconnaître de quoi elles sont victimes. Elles ont besoin qu'on leur explique, qu'elles comprennent pourquoi elles sont comme ça, quelles options s'offrent à elles.
ELLE. Si ce service existe, pourquoi créer une maison des femmes ?
Ghada Hatem-Gantzer. Sa seule vocation n'est pas d'accueillir des femmes excisées. C'est un lieu d'accueil, de consultation, de prévention et d'orientation pour toutes les femmes en difficulté, qu'elles soient confrontées à une grossesse non désirée, à des violences conjugales, au mariage forcé ou, bien sûr, à l'excision. Le Planning familial est à l'étroit dans notre maternité, entre deux portes au fond d'un couloir. Pourtant, un très large public y est accueilli. On pratique 1 000 IVG par an à Delafontaine. Je cherchais un nouveau lieu où installer le Planning. Or, il n'y avait plus d'espace disponible dans l'hôpital. Il fallait donc construire, mais, la maternité venant d'être rénovée, il n'y avait plus un sou dans les caisses. Alors, avec le soutien deGisèle Halimi, je me suis mise en quête de financements. Auprès des collectivités locales, des fondations comme celles de ELLE ou de Kering. Aujourd'hui, les choses avancent enfin. Nous attendons l'aide imminente de la Région et espérons celle de l'opération des Pièces jaunes.
ELLE. Vous évoquiez le Planning familial... Quarante ans après le vote de la loi sur l'IVG, ce droit est-il menacé ?
Ghada Hatem-Gantzer. L'IVG a perdu ses grandes militantes historiques. Ce droit s'est banalisé. On sent moins d'enthousiasme et de soutien en sa faveur. Pourtant, le gouvernement est plutôt « soutenant ». L'ARS [Agence régionale de santé] a mis en place le dispositif Frida [Favoriser la réduction des inégalités d'accès à l'avortement] pour, notamment, réduire les délais d'attente et éviter que les unités IVG ne ferment pendant les vacances. A Saint-Denis, tout le monde est d'accord pour pratiquer des IVG, mais on ne se bat pas pour les faire. Les jeunes médecins ont aujourd'hui une vision plus technique et moins militante de la chose. Il faut faire des IVG, donc on en fait. Point. Il faut rester vigilant, comme nous l'a montré l'Espagne, il y a peu.